Une main dans le plâtre. Comment Mayu allait pouvoir communiquer maintenant ? Elle s’était cassé le poignet droit dans sa chute, ce qui était probablement la pire des malédictions que pouvait subir la jeune fille. Non seulement, elle n’avait plus qu’une main pour parler, mais en plus, elle s’était cassé la main avec laquelle elle écrivait. Plus de langage, plus de contact avec la réalité. Elle ne savait plus vraiment comment faire à présent. Elle paniquait. Tout simplement. Tant et si bien que lorsqu’on lui avait annoncé qu’elle en avait pour un mois, elle s’était mise à pleurer. Elle avait fondu en larmes, sans être capable de se contrôler. En un sens, toute la pression de la nuit redescendait, mais en plus, elle prenait conscience qu’elle allait peut-être devoir parler. Ce qu’elle redoutait le plus quand elle ne s’adressait pas à son frère. Il était le seul en qui elle ait réellement confiance.

Sortant du taxi, la jolie demoiselle qu’elle était donna timidement quelques yens aux chauffeurs, avant de prendre le chemin de sa maison. Une maison qui l’impressionnait toujours autant, depuis qu’elle était enfant. Elle se rappelle avoir eu l’impression de vivre dans un labyrinthe. Mais elle aimait cette maison. Elle aimait sa chaleur, et sa sûreté. Puis surtout, elle savait que son frère l’attendait toujours. Quoi qu’il arrive.

Kaemon !! Mais oui, il devait s’inquiéter ! Elle avait près de cinq heures de retard. Habituellement, même quand elle se baladait dans les rues de Tokyo, elle ne rentrait pas plus tard que vingt heures, particulièrement lors de l’hiver, quand la nuit tombait bien trop tôt au goût de la jeune nippone, qui était vraiment effrayée.
Elle s’inquiétait pour Kaemon. Il avait du se faire un sang d’encre. Elle s’entrava à une marche, failli s’écraser la tête contre le sol, mais se retint in extremis, alors qu’elle apercevait la silhouette de son frère, en train de faire les cent pas.


Elle détestait quand elle devait parler. Même devant son frère au final. Parce qu’elle se rendait toujours un peu plus compte qu’elle en était dans l’incapacité. Quand elle eut fini de gravir les marches, elle alla enlacer son frère avec douceur. Elle aurait bien aimé pouvoir lui lancer un « Tadaimasu ! » mais elle en était incapable.

Lorsque Mayu sentit le contact de son frère contre elle, elle finit par se sentir en sécurité. Il lui sembla qu’à présent, plus rien ne pouvait lui arriver, et était réellement rassurée, tant et si bien qu’elle finit par en sourire. Un de ces petits sourires auxquels seul Kaemon avait droit. Un sourire plein de vie et de confiance. Une dernière part de celle qu’elle était avant. Mais, son frère tant aimé la décala, et l’attrapa par les épaules, avant de se mettre à lui crier dessus. D’abord, Mayu fronça les sourcils, et si elle en avait été capable, elle aurait rétorqué. Mais elle se retrouvait incapable de lui balancer ne serait-ce qu’un « ta gueule ! » avec toute la violence dont elle avait pu faire preuve avant son accident. 
Mais la jeune fille était totalement secouée par tous les évènements, et se retrouvait dans l’incapacité totale de répondre à son frère. Mayu avait simplement eu peur dehors, sans lui, face à ce monde dangereux qui s’ouvrait la nuit tombée. 

Il finit par s’affoler en remarquant son plâtre, et les yeux pleins de larmes, Mayu ne le quittait pas du regard, pour déceler tous les sentiments qui animaient le cœur de Kaemon. Elle essayait de lire dans ses yeux, dans ses traits. Mayu connaissait son frère comme personne. Il n’avait quasiment aucuns secrets pour elle. Il était l’homme qu’elle aimait le plus. Le seul en qui elle avait encore confiance. Il l’avait accompagné au bord de la mort, l’avait tiré du sommeil éternel, et ne l’avait plus jamais abandonné. Il était resté à ses côtés, et elle avait l’impression qu’il était le seul qui y resterait à jamais.

Mayu ne se voyait pas vivre sans son frère. Elle ne savait plus comment le faire. Elle avait passé ses dernières années à être auprès de lui, et à n’en être jamais séparé. Aussi, maintenant qu’ils avaient tous deux repris tranquillement leur vie, la demoiselle était perdue. Il n’était plus près d’elle comme elle le voulait tant. Elle ne pouvait plus se reposer sur lui, et savait pertinemment qu’elle ne devait pas l’étouffer. Il devait vivre comme il le voulait, et ne devait plus être enchaîné à Mayu. Elle devait se défaire de leurs liens, pour lui permettre d’avoir une véritable vie.

Kaemon finit par attraper la main de la jeune femme, qui se laissa entraîner dans la cuisine, alors que son frère lui apportait un verre d’eau. Assise sur son tabouret, la demoiselle observa quelques instants le liquide dans le verre, avant d’avaler le contenu du récipient d’une traite, sans prendre le temps de respirer. Elle reposa le verre sur la table, avant de regarder Kaemon et de fondre en larmes. Elle avait eu trop peur. Beaucoup trop peur.

Mayu allait se préparer à tout lui raconter. Seulement, elle avait quelques problèmes pour le faire, puisque son bras était dans le plâtre, et qu’elle n’était pas capable d’aligner quatre mots sans bégayer de malade, ce qui avait tendance à rendre ses discours totalement incompréhensibles, et même si Kaemon faisait de nombreux efforts, il n’arriverait jamais à déchiffrer toute l’histoire. Sachant que la demoiselle allait forcément avoir des sentiments virulents, ce qui finirait par l’empêcher totalement de parler.

Kaemon vint la prendre dans ses bras. Mais Mayu ne lui rendit pas son étreinte à ce moment-là, se contentant simplement de poser sa joue sur son épaule, en toute délicatesse, comme elle avait toujours eu l’habitude de faire. Ses yeux se fermèrent, alors qu’elle se sentait vraiment bien, intimement convaincue qu’elle ne craignait jamais rien dans les bras de son frère.

Il finit par la lâcher, alors qu’elle regrettait déjà son contact. Il prit le verre vide, avant de le déposer dans l’évier, ce qui fit soupirer Mayu. Il en aurait eu pour deux secondes seulement, pour le mettre dans le lave-vaisselle, et c’était déjà ça de fait.
Se sentant en confiance, la demoiselle ouvrit la bouche, pour tenter de commencer à parler, mais Kaemon arriva et la souleva, ce qui lui arracha un cri de surprise.

Elle le regarda, hébétée, avant de faire semblant d’être morte, toute molle, lorsqu’il lui dit que c’était l’heure de se coucher. Non, elle n’avait décidément pas envie d’y aller, elle était bien debout, et elle avait trop de cauchemars dans la tête pour ce soir. Puis, il lui proposa d’aller regarder un film. Kaemon était fatigué, et elle pouvait le voir. Mais elle se dit qu’il pourrait très bien s’endormir devant le film, et leur soirée se terminerait comme ça. Et si, demain, le réveil était trop dur, ils n’iraient pas en cours.  Elle lui sourit, avant de descendre des bras de son frère, et d’aller regarder dans les DVD qu’ils avaient quel film ils pourraient bien regarder. Mayu avait envie d’un Ghibli. Elle mourrait même d’envie de regarder Princesse Mononoké à vrai dire.

Elle sortit le DVD, tout en acquiesçant à la proposition de Kaemon de faire du pop-corn. Après tout, c’était vraiment chouette. Et drôle. Mayu trouvait ça drôle de veiller aussi tard, et de regarder un film comme ça, au beau milieu de la nuit. Parfois, elle se rendait compte qu’elle agissait comme une vraie gamine avec son frère, mais elle n’en n’avait que faire.

Elle montra son DVD à Kaemon, pour lui poser lui demander silencieusement si le film lui convenait, ou si elle devait aller en choisir un autre.

Mayu tira la langue à Kaemon lorsqu’il fit sa réflexion pourrie. Elle l’aurait bien tapé, mais elle était déjà à l’assaut d’un DVD. Mayu savait aussi que son frère détestait les dessins animés, mais elle savait aussi que lorsqu’il aimait trop un film, il luttait contre le sommeil, et ça, elle le refusait catégoriquement. 

Il leva les yeux au ciel, lorsqu’elle lui montra le DVD, alors qu’un sourire charmeur se dessinait sur son visage. Elle savait que son frère ne pouvait rien lui  refuser, et parfois elle en jouer. Parce qu’elle aimait bien avoir ce qu’elle voulait, malgré tout. Ce côté d’elle ne lui avait jamais été enlevé, et elle jouait par moment les petites princesses. Mais uniquement lorsqu’elle était en présence de Kaemon. Parce qu’elle pouvait toujours se rattraper après.

Lorsqu’il lui arracha le DVD des mains, elle en profita pour déposer un doux baiser sur sa joue, comme pour le remercier. Et, lorsqu’il s’éclipsa pour aller chercher coussins et couvertures, elle en profita pour faire fondre du chocolat, sortir les pop corns de la machine, et déposer les deux bols sur la table basse. Elle sortit aussi de l’Ice Tea, avant de prendre deux verres, et de se lancer sur le canapé, se laissant finalement tomber dessus, comme une grosse merde. La journée avait été longue et éprouvante, et elle avait mal au poignet. La seule chose qu’elle voulait était s’endormir aux côtés de son frère, comme elle le faisait souvent quand elle avait été bouleversée. 

Elle s’enroula dans une couverture, avant de s’allonger, et de laisser ses pieds gelés prendre place sur les genoux de Kaemon. Elle sourit, avant de se rendre compte que dans cette position, elle ne pourrait pas manger. Soupirant, elle se redressa, avant d’attraper les deux bols, et de donner celui avec le chocolat à Kaemon. Chacun un. 

Lorsque le film commença, elle piocha dans le pop corn, le trempa dans le chocolat, avant de l’engloutir, un sourire de satisfaction sur son visage. En fait, la journée se finissait plutôt bien.

Une douceur surprenante se dégageait des échanges entre les deux adolescents. Difficile de croire que quelques années plus tôt ils étaient seulement capables de se hurler dessus, et de se détester. Aujourd’hui, une seule chose était certaine, ils étaient bien inséparables. Mayu ne savait pas vraiment comment elle ferait pour vivre sans Kaemon. Il avait été son pilier lorsqu’elle était sortie du coma, lorsqu’elle n’avait qu’une seule envie : tout plaquer, et dire merde à la vie. 

Ce n’est jamais facile  de tout perdre, et la jeune femme s’en était rendu compte à ses dépends, tant et si bien qu’elle était tombée de bien haut, elle, la gamine pourrie gâtée qui avait tout pour elle. Argent, physique, intelligence. Du jour au lendemain, elle avait réellement tout perdu, pour ne devenir que dépendante des gens avec qui elle vivait. De ceux qu’elle avait complètement oubliés.

Kaemon se leva, et avec amour, la jeune demoiselle le suivit du regard. Elle était la petite sœur jalouse, et inquiète. Elle ne voulait pas voir son frère la laisser au profit d’une autre. Mais il était peut-être temps pour le garçon de retrouver une véritable vie, et, pour la demoiselle, il était temps de retrouver un semblant de force. Ils allaient finir par être séparés, c’était inévitable, ils ne pouvaient faire autrement. La vie ne les épargnerait pas, et quand l’heure serait venue, ils devraient se dire au revoir, ne serait-ce que pour accomplir leurs rêves les plus secrets. 

Mayu finit par reporter son attention sur le début du film, qu’elle ne regardait pas vraiment, cherchant comment affirmer à son frère qu’elle était bien indépendante, pour ne plus l’enchaîner, ne plus être ce boulet qu’elle devait représenter pour lui. Elle n’était pas dupe, malgré ses airs enfantins, et même plutôt intelligente, même si son accident lui avait causé quelques retards mentaux. Elle savait que son frère avait mit sa vie entre parenthèse pour s’occuper d’elle. Mais leur jeunesse, ils ne la vivraient pas deux fois, et, Mayu devait apprendre à laisser son frère en profiter. Aussi, lorsqu’il redescendit, elle fit semblant de dormir, pour être certaine qu’il ne s’épuise pas à veiller sur elle.

Elle était bien décidée à apprendre à vivre seule, de nouveau, parce qu’après tout, ce serait bête de rendre Kaemon malade parce qu’elle était trop bête pour être seule. Mais, rapidement, à force de penser encore et toujours, elle finit par plonger dans un profond sommeil qui, comme tous les soirs depuis son accident, serait agrémenté de cauchemars.