Mon cher Shiro, je vais tenir ce journal pour toi, pour consigner chaque moment important de ta vie et par extension de la mienne. Je noterai ici, toutes mes impressions et mes sentiments. En revenant de notre voyage de l'Hokkaïdo, j'ai repensé à ton message dans lequel tu me disais ne pas te souvenir de ce qu'il s'était passé et ça m'a inquiété. Je me suis rappelé aussi avoir lu dans le journal que tu tiens pour moi, du fait que tu ne te souvenais pas non plus ce qui s'était produit, le jour de la tragédie qui t'a touché. J'espère que tu ne m'en voudras pas, mais à notre retour, je suis allé voir l'infirmier que tu avais vu. J'ai un peu discuté avec lui, je lui ai fait part de mes inquiétudes et il a appelé ton médecin traitant. Leur conversation s'éternisait et je me sentais impuissant. Lorsqu'il a raccroché le combiné, je sentais qu'il y avait quelque chose de grave. Il m'a fait part de tout ce que je connaissais déjà de par ton journal. Cependant, il a ajouté que tu avais subi un choc émotionnel fort, dû au traumatisme, qui fait que lorsque tu vis une scène riche en émotion, ta mémoire se fige et tu oublies. Je tenais à t'en faire part. C'est surtout pour cela que je tiens à rédiger ici tous ces moments de ta vie, ainsi, tu en garderas une trace.
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J'ai été ravi que tu me demandes de t'accompagner en Hokkaïdo, j'en avais besoin je pense et je voulais être présent pour toi dans cette épreuve. Réécrire cette journée est en quelque sorte autant pour toi que pour moi. Par ce voyage, j'ai pu retrouver mes racines, c'était peut-être une façon, de me retrouver moi-même.
Nous avions pris le train ce matin-là. J'avais essayé de faire un effort sur ma tenue et ma coiffure, je voulais être le plus présentable possible. Et toi mon cher Shiro, comme à ton habitude, tu étais propre sur toi, bien habillé et bien coiffé. Je n'avais pris que le strict minimum et malgré le fait que tu m'avais prévenu qu'il allait faire froid, je n'avais pris qu'un petit gilet. Bien que les autres voyageurs étaient des personnes d'un certain âge, je voulais rester moi-même et te faire rire, je sentais que la journée allait être difficile, alors je voulais que tu souris le plus possible. Les autres me regardaient étrangement et je n'en avais que faire. Le trajet me semblait interminable, mais une fois arrivée, c'est la stupéfaction qui m'envahit.
Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas revu mon village natal. Je réprimais les larmes, je voulais être fort. Ce n'était pas tant que le paysage ait changé, c'était surtout moi, qui n'étais plus le même. Je reconnaissais vaguement certaines maisons, mais je ne savais plus qui y habitait. Puis nous nous sommes arrêtés devant mon ancien chez moi. Je ne sais même pas si mon père y vit encore. Peut-être a-t-il une nouvelle famille? J'ai peut-être des demi-frères ou des demi-sœurs? Peut-être même les deux. Sincèrement je n'avais pas envie de le savoir. Ma mère l'avait laissé seul et j'espérais qu'il serait plus heureux sans elle. Je n'ai jamais eu de nouvelles. Même si j'avais vraiment envie de courir et frapper à la porte, j'avais trop peur de découvrir ce qu'il y avait derrière. Alors j'avançai et détournai le regard. Peut-être qu'un jour j'aurai assez de force pour faire un pas en avant, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui je devais être fort pour toi. Un jour, je te dirais tout ce qui m'est arrivé, je te le promets, mais pas tout de suite, je ne me sens pas assez fort, pour tout revivre.
Nous avons ensuite continué, mes pas m'ont guidé instinctivement chez toi, comme ils en avaient l'habitude lorsque j'étais enfant. Je venais toujours me réfugier chez toi. C'était un peu ma deuxième maison et j'y étais bien. Je te regardais et plus on se rapprochait, plus j'avais l'impression de lire de la détermination, mais aussi de la tristesse dans tes yeux. Tu étais passé par tellement de chose, que je ne saurais imaginer. Et cette demeure renfermait tellement de souvenirs pour toi, des bons, comme des mauvais. Et encore c'est peu dire. J'attendais que tu sois prêt et je poussai la porte. Nous entrâmes et je vis ta mère.
Le choc fut rude. Même si je m'y étais préparé, les images sont toujours plus frappantes. Je n'avais plus l'impression que c'était la même personne. Je le savais, tu n'avais cessé de me le dire. Mais intérieurement, j'avais besoin de la voir ainsi, pour pouvoir faire le deuil je pense. C'est tragique de parler ainsi, d'une femme qui avait été pleine de vie et qui maintenant ne tenait plus qu'à un fil. Quand elle ouvrit la bouche et articula mon prénom. Je n'en revenais pas. Tout s'entrechoquait. J'étais content qu'elle se souvienne de moi, mais en même temps, j'étais tellement triste, qu'elle ne prononce pas ton nom. Je m'excuse sincèrement mon cher Shiro. J'aurais préféré qu'elle te parle à toi, son propre fils, plutôt qu'à moi. Quand elle nous quittera, je me tiendrais à ton côté, ne t'inquiète pas pour ça. Jamais je ne te laisserai affronter cela seul, tu es comme un frère et c'est comme si je perdais également ma mère. Jamais, au grand jamais, je ne te laisserai plus seul, face à un tel drame.
Quand tu m'emmenas dans ta chambre, j'avais l'impression d'avoir de nouveau 8 ans. Tu étais souriant et j'aurai voulu que plus rien ne change. Certes, la chambre ressemblait plus à celle d'un adolescent, l'adolescent que tu as été, mais je te reconnaissais toujours. Je n'ai jamais pu vivre cette période avec toi, qui est peut-être la plus difficile au cours d'une vie. Surtout dans ton cas. Je pense que te supplier de rejouer à la console, était un peu égoïste de ma part, mais en même temps, je voulais te changer les idées. Peut-être que nous arriverions à remonter le temps, et qu'en redescendant ton père viendrait nous voir et nous dire que nous sommes de vilains garnements en riant, comme à son habitude et que ta mère se trouverait dans la cuisine en train de faire des bons petits plats. Et alors nous pourrions refaire notre vie, ne jamais connaître aucune séparation. Mais quand nous sommes redescendus, rien n'avait changé. Ta mère était toujours allongée. Quand je suis allé près d'elle pour lui dire au revoir, elle m'a donné une enveloppe, que j'ai gardé précieusement. Puis nous avons rendu visite à ton père. Ce fut un moment intense, je pense que je ne me rendais pas vraiment compte qu'il était parti. Mais la réalité m'a bien vite rattrapé. J'ai ainsi pu lui faire mes adieux comme il se doit et j'ai prié pour lui. Le retour s'est déroulé sans encombre. Je ne cessais de renifler, d'éternuer et de toussoter. J'avais sûrement attrapé froid. Je l'avais bien mérité, quand on dit qu'il faut toujours écouter son aîné, je devrais m'y résoudre maintenant que je t'avais retrouvé. Je suis vraiment content d'avoir passé cette journée avec toi, comme si rien n'avait changé. J'ai pu revivre tellement de souvenirs et m'en créer de nouveaux.J'ai pu revoir le village où je suis né. Ça m'a fait un bien fou et c'est à toi que je le dois. J'espère qu'un jour on y retournera juste pour le plaisir de visiter. Tu es un frère et cette journée n'a fait que me rappeler cette évidence.
En revenant dans ma chambre, j'ai retrouvé l'enveloppe que m'a donné ta mère et l'ai ouverte. Elle contenait une lettre, que j'ai lu et j'ai peur de te faire part de ce qu'elle contient, mais elle t'est adressée et je ne pourrais te la cacher. Je te la joins avec ces quelques pages. Je ne veux pas que tu m'en veuilles de l'avoir lu avant toi. Je veux que tu saches que, quelques soient tes choix à partir de la lecture de cette lettre, je serais toujours avec toi. Je te soutiendrais du mieux que je peux et ne t'abandonnerais jamais. Rien n'est de ta faute et dorénavant, tu n'es plus seul, je suis et resterais présent.